Ma vie de retraitée à Bois l’Abbé
Je suis arrivée en octobre 2012 à Champigny, après 11 ans passés hors de France… 8 ans à Rome et 3 ans à Montréal, au Canada ; 11ans en milieu très international, je ne me suis donc pas sentie complètement dépaysée, en arrivant à Bois l’Abbé ! Le nombre de familles issues de tant de pays, m’a invitée à rejoindre la Sainte Famille lors de son exil en Égypte. Les enfants me rapprochent de ce que fut la vie de Jésus à Nazareth, élevé avec tant d’amour par Marie et Joseph.
Je n’étais pas encore retraitée, cela n’est venu qu’en 2014. Il m’a tout d’abord fallu un temps de réadaptation à la France, simplement à des événements que je n’avais pas vécus, pour lesquels j’ai parfois demandé des éclaircissements, ou à de nouvelles expressions de la langue française comme : « ça va pas le faire ? » (J’ai même dû demander la traduction à Jeanne !).
Je n’avais pas d’apostolat précis, rien à voir avec ce que j’avais laissé en quittant la France en 2001… Créer des relations, c’est saluer le gardien des immeubles, la personne qui fait le ménage des entrées d’immeubles, les éboueurs…
Je suis très vite allée voir ce qu’il se passait à la Maison pour Tous, et j’ai choisi de rencontrer les femmes du quartier, au cours du p’tit-déj, le jeudi matin. J’ai choisi, pour créer d’autres relations, de pratiquer de la gymnastique, toujours à la Maison pour Tous, nous avons vécu des temps très sympas, malheureusement interrompus par le Covid ! Nous allons pouvoir reprendre les cours la semaine prochaine, quelle chance de revoir les uns et les autres avant la coupure de l’été !
J’ai pris contact avec les Femmes relais, j’ai été heureuse de découvrir, entre autres, leur rôle auprès de femmes en situations difficiles, occasion de prier pour elles et toutes les femmes dans des situations semblables.
Il m’a ensuite été demandé de travailler au service social, auprès de mes sœurs de France, je suis devenue secrétaire de la section de notre Mutuelle. Je vais une fois par semaine, travailler à la maison provinciale à St Mandé, et le reste du temps, je travaille ici, à la communauté (en télétravail). Cela occupe largement un mi-temps selon les semaines. C’est une occasion de me sentir en lien avec mes soeurs, de contribuer à prendre soin de leur santé et de prier pour elles, leur entourage, la plupart étant en Ehpad. Je confie plus spécialement au Seigneur celles pour lesquelles je remplis un dossier, fais une démarche… ou dont la santé connaît des passages difficiles.
Je prie également pour les personnes malades, isolées de ce quartier. Je prie beaucoup pour les jeunes, spécialement à la suite des récents événements qui ont touché nos quartiers, pour les quatre familles, si durement éprouvées. Je rends grâce pour tous les jeunes, qui ont posé des gestes de solidarité.
Lorsque je me lève la nuit, je regarde les immeubles autour et prie pour les personnes qui y habitent. Chaque fenêtre allumée me donne de rejoindre plus particulièrement, celui ou celle qui ne dort pas pour diverses raisons, par choix, à cause du travail, de la maladie, etc. …
J’assurais, déjà avant d’arriver, un travail de traductions par écrit (à partir de la langue anglaise) pour la Sainte-Famille (télétravail !). Je continue ce type de travail, pour lequel il me faut rester disponible, car cela exige beaucoup de temps. Cela renforce les liens créés lors de mon séjour à Rome et me laisse en lien avec les membres de la Sainte-Famille dans différents pays.
Les informations suivies sur les médias me donnent la possibilité de prier pour les situations difficiles dans différents pays : guerres, problèmes économiques graves, zones de conflit, situations des femmes, des jeunes…
Je vis également depuis mon arrivée, une présence auprès de ma mère, en EHPAD, dans l’Ardèche, près de Valence. Je vais lui rendre visite, à peu près tous les deux mois, sans compter tous les temps de dialogue au téléphone…
Il y a également, les services dans la communauté : courses, cuisine, lessive, ménage : prendre soin d’une famille ou prendre soin de ses sœurs en communauté, quelque part, cela se rejoint, n’est-ce pas ? Partage aussi des temps de prière…, de réflexion… sans compter une formation pour devenir aidante, pour certaines maladies demandant un accompagnement spécifique.
La vie communautaire ne va pas toujours de soi, bien qu’elle fasse partie de notre vocation ; elle est accueil de l’autre dans ce qu’elle est, avec ses dons et ses limites, ce qu’elle vit… elle demande souplesse et adaptation, et parfois cela rabote… Elle est expérience du pardon reçu du Père et donné, même si les blessures demeurent.
Un évangile me parle spécialement : la fin de celui des pèlerins d’Emmaüs. Ils font l’expérience de la déception, du désarroi, même de la fuite, puis ils rencontrent le Ressuscité et repartent tout joyeux vers Jérusalem. Faire l’expérience de moments difficiles dans un lieu donné, ne pas partir, mais reconnaître que Jésus est là, qu’il redonne confiance pour continuer la route, avec les difficultés et les souffrances.
Tout ceci nourrit ma prière, elle est particulièrement habitée par toutes les personnes avec lesquelles je suis en lien, même si je ne les rencontre pas directement. Le confinement m’a poussée à être encore plus présente auprès de certain/e/s et par téléphone, de prendre des nouvelles et d’en partager quelques-unes avec la communauté. J’ai beaucoup prié pour les malades, les familles dont des membres étaient atteints par le Covid ; pour tous ceux qui sont décédés sans personne auprès d’eux, sans personne pour les célébrations d’obsèques. Je prie aussi pour ceux qui sont encore plus atteints par le chômage et l’insécurité dans leur travail.
Curieusement, juste avant de savoir que je viendrai à Bois l’Abbé, j’avais lu différents écrits des moines de Thibirine, qui donnaient le sens de leur insertion en Algérie… c’était prémonitoire, et c’est, pour moi, riche de suivre les temps de prière de la mosquée, assez proches du rythme de nos monastères. Je me suis sentie renouvelée dans ma prière, et heureuse de nous sentir priantes avec d’autres priants, et de constater combien dans ce quartier, nous vivons la fraternité, spécialement avec nos voisins, fraternité voulue par notre Dieu, qui voudrait rassembler dans l’unité ses enfants dispersés.
Martine Pottelet